Patrick RIVIÈRE
“ J’aperçus un effroyable dragon qui avait un énorme dard à trois pointes qui cherchait à me lancer son haleine mortelle… ”
Cyliani, in Hermès dévoilé.
En hébreu, Mika-El signifie « qui est comme Dieu » et si Saint Denys nous dit de lui qu’il est l’image de Dieu, la manifestation de sa Lumière cachée. (qu’) il est le Miroir du Très-Haut », ceci ne doit pas nous faire oublier que Daniel l’évoquait déjà comme le Grand Prince qui se tient debout devant le Seigneur, pour les fils de son peuple » (Daniel, XII).
A ce titre, il est considéré tel un intercesseur auprès du Seigneur, ainsi que l’indique clairement cette prière extraite de la liturgie Byzantine : « Grand Chef des Milices Célestes, nous te supplions, indignes que nous sommes, de nous protéger par tes prières et de nous garder à l’ombre des ailes de ton immortelle gloire, nous qui, à genoux, instamment, t’implorons. Délivre-nous des dangers, ô Prince des puissances d’en-Haut. Archistratège de Dieu, serviteur de sa gloire, guide des mortels et chef des Anges, obtiens-nous ce qui est utile à nos âmes et la grâce du Salut. » Ou bien encore dans la liturgie Romaine, lors de la bénédiction de l’encens: “ Que par l’intercession du Bienheureux Saint Michel Archange qui se tient à droite de l’autel des parfums, le Seigneur daigne bénir cet encens et le recevoir en odeur de Suavité. ”
Saint Michel, reconnu en tant qu’Archange (cf. St Jérôme, St Thomas d’Aquin), fut très vite considéré par les chrétiens tel le « Prince de la Milice Céleste ». Il apparaît très tôt comme l’archistratégos des armées angéliques.Visant à triompher de l’erreur spirituelle, il eut à mener le combat contre Satan et les Anges rebelles ayant suivi Lucifer, relégués aux enfers lors de la Chute (cf. le Livre d’Énoch) et devra entamer la lutte eschatologique, précipitant le Dragon, du Ciel sur la Terre où il transmettra son pouvoir destructeur à la monstrueuse « Bête » de l’Apocalypse (chap.XII-XIII).
L’Archange, célébré traditionnellement le 29 Septembre, soit quelques jours à peine après l’équinoxe d’Automne, dans le signe zodiacal de la Balance, a toujours été considéré comme le saint Patron de la Chevalerie ayant pour attributs l’épée et justement la balance de justice servant à la « pesée des âmes » rappelant la psychostasie de l’Égypte ancienne où le dieu Anubis tenait lieu de psychopompe. On assiste ici à la juxtaposition des fonctions chevaleresques et judiciaires : l’épée, dans la main droite de l’Archange et la balance dans sa main gauche ; Saint Michel s’affirmant ainsi comme l’agent de la Justice divine.
Il n’est pas anodin de remarquer en outre que certains anciens lieux de culte antérieurement dédiés à Anubis le furent ensuite à Lug-Hermès-Mercure, Apollon-Bélénos, puis à Saint-Michel pour finir. Et du Mt Gargano en Italie, ainsi que de nombreux sites associés au mythique Gargantua, au Mt Saint-Michel (Tombelaine: « Tombe de Bélen », le soleil couchant), l’Archange terrasse traditionnellement le « dragon ».
En l’an 492, l’évêque Laurent eut la vision du « Chef des Milices Célestes » qui s’imposait au Mt Gargano d’Apulie, dans la région des Pouilles, en Italie, qui permit d’évincer le paganisme qui sévissait alors en ce lieu. Saint Michel apparut de même à Aubert, l’évêque d’Avranches. Notons que les principaux sanctuaires qui lui sont dédiés s’alignent suivant une direction NOSE, formant avec le Nord géographique un angle de 60°. Ainsi trouvons-nous successivement: le Skellin Michael (Irlande), le Saint Michael’s Mount (Angleterre), Saint-Michel au Péril de la Mer ( France), La Sacra di San Michele (Italie), San Michele di Monte Gargano (Italie). Cette droite passe d’ailleurs par Bourges, ombilic hermétique de la Gaule, ainsi que par Delphes, le nombril du monde Grec antique, avant de traverser la terre des pyramides.
Le culte de Saint Michel s’avéra le plus important en Gaule à l’époque carolingienne et l’Archange fut proclamé « protecteur et Prince de l’empire des Gaules ». Au Moyen-Age, le pèlerinage au Mont-Saint-Michel attira une foule de plus en plus nombreuse. Le Roi Charles VI s’y rendit lui-même par deux fois. En 1410, le Dauphin, futur Charles VII se plaça sous l’égide de Saint Michel. En 1427, cent dix-neuf chevaliers firent peindre leurs armoiries sur le mur ouest du transept sud de l’église abbatiale pour signifier leur volonté de défendre le sanctuaire. Quelques années plus tard, Jeanne d’Arc affirmera tenir sa mission de « Saint Michel, Roi du Ciel ». Elle délivrera la ville d’Orléans, un 8 Mai jour de l’apparition de l’Archange au Mont Gargan. Le ler Août 1469, le Roi Louis XI fondera l’Ordre chevaleresque de Saint Michel, en ces termes: « Nous avons constitué, créé et ordonné, et par ces présentes créons, constituons et ordonnons un Ordre de fraternité ou aimable compagnie de certain nombre de chevaliers jusqu’à trente-six, lequel voulons être l’Ordre de Saint Michel ».
Tout ceci ne doit cependant pas nous faire ignorer que suivant une acception proprement hermétique Saint Michel est qualifié de « Maître de la Foudre », « Maître de la Rosêe » (de rosis : force et vigueur), en d’autres termes « Maître de l’Alchimie et de la Pierre Philosophale ».
Si cet archétype du Chevalier (ou « cabalier ») terrassant le dragon est bien présent dans la mythologie antique, sous les traits de Persée délivrant Andromède emprisonnée par le fabuleux animal, ou bien encore de Roger sauvant Angélique du montre vomissant les flammes de l’Enfer, comme celui qui gardait le jardin des Hespérides et que dut affronter Héraklès, l’hagiographie chrétienne avec Saint-Georges et surtout Saint Michel allait parfaire de manière sublime le mythe ancestral.
Le Dragon, issu du bestiaire fabuleux frappant notre imaginaire a de tous temps été associé aux « trésors ». Il en est le terrible et vigilant gardien qui sort de sa torpeur dès que l’on tente de l’approcher, comme en témoignent ces quelques lignes :
« Alors il considère le rocher escarpé, lui, le guerrier puissant, qui avait si souvent tenté la fortune des combats… Il vit une voûte de pierre d’où s’échappait un fleuve de feu, et nul ne pouvait entrer ni s’approcher du trésor sans traverser ces flammes que vomissait le dragon couché dans la caverne. »
Avant de procéder à une interprétation alchimique précise de ces récits légendaires, rappelons succinctement la signification élémentaire de ce combat mythique : « Demandons aux folkloristes ce qu’ils pensent du dragon, que celui-ci garde jalousement les pommes d’or des Hespérides, qu’il rampe comme Fafnir sur la lande de Gnita en attendant le coup fatal que va lui porter Sigurd, ou qu’il vomisse un torrent de flammes sur l’imprudent qui s’approche de sa ténébreuse caverne. Le dragon, répondront-ils, c’est l’hiver ; son adversaire est le Soleil; la captive, dont très souvent, la délivrance est liée à sa mort, c’est la Terre qui attend le souffle tiède du printemps. Accessoirement la caverne du dragon est le séjour des morts, la ténébreuse demeure d’Hadès dont l’orifice se trouve là où le soleil semble s’enfoncer chaque soir sous l’horizon. /… / « Rien n’est, assurément, plus exact. Lorsque Siegfried délivre Sigurdrifa ou Brynhilde,son glaive doit mettre en pièces la cuirasse qui l’enserre si bien qu’on ne peut la détacher autrement. Image poétique des rayons solaires qui peuvent seuls venir à bout de la carapace de glaces qui enserre tout l’hiver la terre nordique, jusqu’à l’époque de la débâcle. Le cercle de flammes qui environne la Walkyrie touchée par l’épine du sommeil n’est pas « mythiquement » différent du dragon ni du trésor que celui-ci cache dans sa caverne ou sous les eaux, cet or si rouge, ce feu de l’eau des poèmes scandinaves que chacun peut apercevoir au loin quand les derniers rayons du couchant dorent la mer.
« Inutile de souligner que mythes et légendes où figurent un dragon, un héros et une captive ou,à défaut, un trésor n’ont pas que le sens naturaliste qu’il est si facile de saisir. Et il suffit parfois de quelque mince détail pour que tel ou tel autre sens se laisse deviner à des yeux faits pour les voir. Persée, pour combattre, reçoit de Pluton le casque d’Arès qui doit le rendre invisible, tout comme la Tarnkappe rend invisible Siegfried. Et ce casque est en peau de chien. Détail mytho-astronomique et hermétique sur lequel je ne puis ici qu’attirer l’attention.
« Lorsque, dans une version danoise de sa légende, Sigurd va délivrer Sîgurdrifa, c’est dans le Glasberg, la montagne de Verrre, que se passe l’action. La Walkyrie en léthargie est au centre d’une enceinte de flammes qui ne suffirait pas à fondre sa cuirasse de glace si le fer de Sîgurd n’entrait en jeu. Tous ces détails, riches de sens hermétique, puisqu’ils ont trait à l’une des difficultés majeures des opérations de l’OEuvre, resteront lettre morte pour les investigateurs non qualifiés quelque érudits qu’on les suppose.
« Cela, c’est le schéma commode d’une foule de contes, c’est la « devinette » innocente et facile à comprendre que les savants modernes ont élucidé sans peine. L’idée qu’il pouvait y avoir, derrière ce décor de bazar, quelques enseignements plus profonds réservés à une élite ne semble pas les avoir effleurés. Enhardis par des analogies incontestables, ils ont été victimes de la facilité et du moindre effort. Le mythe solaire est devenu le lit de Procuste des légendes, des mythes et des symboles.
Soumettons cette allégorie à l’école moderne : Dans les bois est un animal couvert de noirceur. Si quelqu’un arrive à lui couper la tête, il perdra sa noirceur pour prendre une couleur très blanche. » Et sous une figure représentant la lutte d’un guerrier et d’un dragon, on lit : “ Remarquez promptement le dragon noir dans la forêt. ”
« Ce texte n’est pas fait pour embarrasser nos savants qui y retrouveront naturellement la lutte de l’hiver et de la nuit contre l’été et la lumière solaire … Un seul ennui ici, c’est qu’il est tiré d’un ouvrage alchimique (Traité de la Pierre Philosophale de Lambsprinck, XVIO siècle) et n’a rien à voir avec un mythe solaire et saisonnier. » (André Savoret, in Le Symbolisme du Dragon)
C’est ici l’évocation à peine voilée du processus alchimique que se doit de réaliser le philosophe hermétique en son indispensable athanor. Il s’agit déjà en réalité du noeud gordien qu’il convient de dénouer d’entrée afin de mener à bien les décisifs « Travaux d’Hercule ».
C’est bien en effet l’énigmatique première partie du Grand OEuvre qui se trouve dissimulée sous cette allégorie car il s’agit véritablement de percer, voire d »‘ouvrir » la prima materia semblable à ce monstre écailleux à l’haleine fétide et empoisonnée, environné de ténèbres tel le sulfure minéral dont il est ici question. Et pour ce faire, le chevalier armé et casqué de son heaume, doit utiliser sa lance ou son glaive afin d’opérer cette ouverture dans les entrailles du dragon d’où jaillira l’éblouissante lumière mercurielle conjointement à la « fontaine de jouvence des amoureux de Science » qu’elles renferment.
Rien n’est donc laissé au hasard puisque le minerai vil et impur entouré de sa gangue arsenicale est comparable en tout au « dragon » mythique, jusqu’aux écailles qui doivent s’avérer d’un éclat métallique particulier et d’une certaine largeur afin de se voir conformes à la canonicité de la prima materna délibérément choisie. “
Je suis Dragon envenimé étant partout présent et à vil prix, la chose sur laquelle je repose et qui se repose sur moi se trouvera en moi, qui recherchera bien et diligemment mon eau et mon feu destructeur et constructeur… ”
“ Je suis vieil, débile et malade, mon surnom est Dragon. Pour cette cause je suis enfermé dans une fosse afin que je sois récompensé de la Couronne Royale et que j’enrichisse ma famille, étant en particulier le serviteur fugitif. Mais après ces choses nous posséderons tous les trésors du Royaume, le feu me tourmente grandement et la mort rompt ma chair et mes os jusqu’à ce que six semaines passent… ” écrivit sans ambages le moine bénédictin d’Eyrfurt, l’alchimiste patenté Basile Valentin, en son Traité de l’Azoth ou le moyen de faire l’Or caché des Philosophes.
Le grand Adepte Fulcanelli crut bon d’ajouter les précisions suivantes concernant le processus d’élaboration du Premier OEuvre par « voie sèche » (au creuset) : « Si donc vous désirez posséder le griffon, qui est notre pierre astrale, en l’arrachant de sa gangue arsenicale, prenez deux parts de terre vierge, notre dragon écailleux, et une de l’agent igné, lequel est ce vaillant chevalier armé de sa lance et du bouclier. » (Les Demeures Philosophales)
Mais ce chevalier en l’occurrence, n’est pas des moindres. Il doit être doté des plus hautes vertus spirituelles, outre le valeureux courage qui l’anime nécessairement. Le Saint-Esprit l’assiste constamment dans sa noble cause consistant à terrasser le dragon, sous-entendu, transcender la matière tel l’alchimiste au sein de son athanor, ses seules armes d’acier ne le prémunissant nullement de l’échec encouru. C’est pourquoi porter la bannière de l’Archange Saint Michel et être ainsi placé sous son égide constitue la meilleure référence archétypique qui soit.
Fulcanelli, en son texte mémorable à cet égard, poursuit : “ Arès, plus vigoureux qu’Aries doit être en moindre quantité. Pulvérisez et ajoutez la quinzième partie de ce sel pur, blanc, admirable, plusieurs fois lavé et cristallisé, que vous devez nécessairement connaître. ” Et le Maître avait pris la précaution de préciser quelques cent pages auparavant : “ Mais si l’on ignore la signification occulte des termes, – ce qu’est, par exemple, Ares, ce qui le distingue d’Aries et le rapproche d’Arles, d’Arnet et d’Albait, – qualificatifs étranges employés à dessein dans la rédaction de tels ouvrages, on doit craindre de n’y entendre goutte ou de se laisser infailliblement tromper. Nous ne devons pas oublier qu’il s’agît là d’une science ésotérique. ”
Subtile indication en effet qui nous renvoie au Dictionnaire Mytho-Hermétique de l’abbé Dom Pernéty, définissant le terme d’ Arles Crudum comme étant la « Rosée printanière », préférablement recueillie au mois de Mai.
L’Adepte, au pseudonyme de Cyliani, avait su parfaitement illustrer ce point de Science, évoquant un songe particulièrement allégorique, en son inestimable opuscule dédié à la postérité et intitulé Hermès dévoilé. On y voit l’Esprit astral ayant revêtu pour la circonstance l’apparence d’une nymphe céleste, s’entretenir ainsi avec notre auteur, endormi au pied d’un chêne : « Tu m’as dit être instruit en chimie, vois quel moyen tes connaissances peuvent t’offrir pour ouvrir seulement la serrure de la porte de ce temple, afin d’y pénétrer jusqu’au sanctuaire. A vaincre sans péril, ajouta-t-elle, on triomphe sans gloire. Avant de te quitter, je veux encore t’observer que tu ne peux combattre le dragon qui défend intérieurement l’entrée de ce temple qu’avec cette lance qu’il faut que tu fasses rougir à l’aide du feu vulgaire afin de percer le corps du monstre que tu dois combattre, et pénétrer jusqu’à son cœur : dragon qui a été bien décrit par les Anciens et duquel ils ont tant parlé.
« Pense à la rosée de Mai, elle devient indispensable comme véhicule et comme étant le principe de toutes choses. Je jetai mes regards sur elle, la nymphe se mit à sourire. Enfin tu vas commencer les travaux d’Hercule, réunis toutes tes forces et sois d’une ferme volonté. Adieu. » La nymphe me prit par la main et me la serra. « Aimes-tu la vie ? », me dit-elle. « En votre présence, je la chéris plus que jamais », lui répondis-je. « Tâche de ne pas la perdre par imprudence; en attendant l’issue du combat je veillerai près de toi et en cas d’évènements je viendrai te soulager. Adieu ». Elle disparut.
« J’étais triste d’avoir perdu cette nymphe qui m’était si chère. Enfin je me décidai au combat. Ayant réuni des branches de bois sec éparpillés sur le lieu où je me trouvais, j’y mis le feu à l’aide d’une lentille que je trouvais avoir sur moi, et fis rougir ma lance presque au blanc. Pendant cette opération, je cherchai le moyen qui pourrait le mieux détruire la serrure de la porte du temple. Je m’aperçus que la nymphe m’avait glissé dans ma poche sans que je m’en aperçusse un bocal bouché, plein de la substance qui m’était nécessaire.
« Déterminé à vaincre ou à périr, je saisis avec fureur ma lance d’une main et la substance de l’autre, et mis de cette dernière sur la serrure la quantité nécessaire. Celle-ci en peu de temps disparut entièrement et les deux battants de la porte du temple s’ouvrirent avec fracas. J’aperçus un effroyable dragon qui avait un énorme dard à trois pointes qui cherchait à me lancer son haleine mortelle. Je m’élançai sur lui en criant :
« Lorsqu’on a tout perdu, que l’on n’a plus d’espoir La vie est un opprobre et la mort un devoir. »
« Il ouvre sa gueule pour me dévorer, je lui plonge dedans avec tant de force ma lance que je pénètre jusqu’aux entrailles, je lui déchire le cœur; et afin qu’il ne pût m’atteindre, je faisais en même temps de rudes efforts à l’aide de ma lance pour détourner la direction de sa tête …
» Voilà bien ici souligné toute l’importance des célestes vertus de la Rosée de Mai. Sans authentique « spiritualisation de la matière » on ne peut valablement prétendre aborder l’Alchimie. Le problème majeur pour l’alchimiste consiste donc à, capter l’Energie cosmique ou Spiritus Mundi (L’AEther ou l’Azoth des Philosophes »), pour animer la matière élue et la transcender ensuite.
Cet Esprit cosmique est l’énergie créatrice fécondante de l’Univers, l’esprit qui vivifie toute forme et la Rosée en constitue le véhicule privilégié pour l’alchimiste.
C’est toute l’énigmatique question du Feu Secret qui est évoquée ici. Ce Feu spirituel et néanmoins matériel a fait couler beaucoup d’encre jusqu’alors. En témoigne ce passage extrait du Triomphe Hermétique d’Alexandre-Toussaint Limojon de St Didier « En effet c’est le grand mystère de l’Art, puisque tous les autres mystères de cette sublime philosophie dépendent de l’intelligence de celui-ci. Que je serais satisfait s’il m’était permis de vous expliquer ce secret sans équivoque; mais je ne puis faire ce qu’aucun Philosophe n’a cru être en son pouvoir. Tout ce que vous pouvez raisonnablement attendre de moi, c’est de vous dire que le feu naturel, dont parle ce philosophe, est un feu en puissance, qui ne brûle pas les mains; mais qui fait paraître son efficacité pour peu qu’il soit excité par le feu extérieur./ … / ce feu mystérieux est naturel, parce qu’il est de même nature que la matière philosophique; l’artiste néanmoins prépare l’un et l’autre. »
Dans son Traité du Feu et du Sel, l’alchimiste Blaise de Vigenère confiait au lecteur que » … le vêtement de ce feu sera le Sel auquel le feu potentiellement est renclos, car tous les sels sont de nature de feu comme étant engendrés de lui ».
Si, en effet, dans le règne végétal, la Rosée est utilisée à l’état naturel, l’alchimiste doit en extraire – grâce à un artifice soigneusement voilé (cf. nos commentaires au Mutus Liber d’Altus) – le précieux Sel pour son utilisation dans le règne minéral en vue de l’élaboration de la Pierre Philosophale. En réalité, il s’agit de « deux Sels » issus, plus ou moins directement, de la précieuse Rosée (cf. notre ouvrage Alchimie science et mystique, éd. De Vecchi) dont Fulcanelli écrivit … Pulvérisez et ajoutez la quinzième partie du tout de ce sel pur, blanc, admirable, plusieurs fois lavé et cristallisé, que vous devez nécessairement connaître. » Puis, plus loin (dans le texte) : « Jetez alors dans ce mélange la moitié du second sel, tiré de la rosée qui, au mois de mai, fertilise la terre, et vous obtiendrez un corps plus clair que le précédent. Répétez trois fois la même technique ; vous parviendrez à la minière de notre mercure, et aurez gravi la première marche de l’escalier des sages. » (Les Demeures Philosophales)
L’aimantation du Spiritus Mundi et l’utilisation du précieux fondant sous l’apparence de deux Sels de nature voisine et obtenus de manière idoine, constitue la clef de l’Arcane majeur du Feu secret des Adeptes (d’adeptus : qui a acquis) qui ont su parvenir à la réalisation de la Pierre.
La collecte de l’inestimable rosée a lieu traditionnellement en lune croissante de printemps, au moment où le soleil traverse les signes zodiacaux du Bélier, du Taureau et des Gémeaux, tel que l’indique clairement le Mutus Liber ainsi que la superbe planche ornant Le Triomphe Hermétique d’A-T Limojon de St Didier. Le texte des Récréations Hermétiques (sous-entendu « Re-Création ») vient y ajouter des précisions non superfétatoires à cet égard “ Tout le monde sait aujourd’hui que la lumière que la lune nous envoie n’est qu’un emprunt de celle du soleil, à laquelle vient se mêler la lumière des autres astres. La lune est par conséquent le réceptacle ou foyer commun dont tous les philosophes ont entendu parler; elle est la source de leur eau vive. Si donc vous voulez réduire en eau les rayons du soleil, choisissez le moment où la lune nous les transmet avec abondance, c’est-à-dire lorsqu’ elle est pleine ou qu’elle approche de son plein ; vous aurez par ce moyen l’eau ignée des rayons du soleil et de la lune dans sa plus grande force …
” Virgile n’évoquait-il pas également dans Les Bucoliques : « la lune, verseuse de rosée… » D’ailleurs, selon Macrobe, Ros ne désignait-il pas en effet le dieu mythologique « fils de l’Air et de la Lune »! Il s’agit bien de la « Rose hermétique » que le poète Jehan de Meung mit en vers en son Roman de la Rose (en Latin rosis); devenue par homophonie gréco-latine et le jeu du langage des oiseaux ou « cabale phonétique » : Le Roman de la « Rosée » …
Suivant le célèbre médecin-alchimiste Paracelse, cette sublime condensation devait être issue de « l’exsudation des astres » et principalement de la Lune. Ainsi devint-elle tout naturellement « l’eau de la Lune » !
Tous les anciens textes sacrés n’ont cessé d’y adresser des louanges et d’en célébrer les vertus, à commencer par la Bible Gen.XXVII,28-39; Gen.XXVIII,11-12; Deut.XXXIII,13-28. Il est à noter que la Rosée ne comporte pas ici de valeur allégorique. Elle constitue l’Arcane en lui-même. Ainsi peut-on lire également dans les Proverbes :
« C’est par la Sagesse que l’Éternel a fondé la Terre. C’est par l’Intelligence qu’il a affermi les Cieux. C’est par la Science que les abîmes se sont ouverts Et que les nuages distillent la Rosée… »
Le Chancelier d’Eckhartshausen affirmait à bon droit : « La vraie science royale et sacerdotale est la science de la régénération, ou la science de la réunion de l’homme tombé, avec Dieu. » (in La Nuée sur le Sanctuaire), ainsi que bien plus tard l’alchimiste Celte contemporain André Savoret : » … l’homme régénéré est la Pierre Philosophale de la Nature déchue, de même que l’homme non régénéré est la materia bruta de ce Grand OEuvre dont le Verbe divin est l’Alchimiste et l’Esprit-Saint le feu secret ./… / Et tous les vrais hermétistes chrétiens – non les souffleurs – sont unanimes sur ce point comme sur celui de la subordination de l’OEuvre physique à l’OEuvre mystique. »
Ainsi existe-t-il en l’Homme, une terre virginale comparable en tout à la « matière alchimique » que Paracelse qualifiait à l’ instar des anciens, de « limbe du grand et du petit monde » et qui doit évoluer en s’épurant progressivement.
N’oublions pas que si l’alchimiste possède son laboratoire, il n’en possède pas moins également son oratoire car, grâce à la prière et à la méditation, il transcende sa nature humaine à travers l’ascèse (“ Ora … Labora et Invenies ”).
Et Saint Michel nous invite magistralement à emprunter cette voie de régénération par la maîtrise du dragon et la délivrance de l’embryon d’immortalité tel qu’en rend compte également au porche occidental de N-D de Paris, la représentation de l’Évêque Saint Marcel, juché sur l’aludel, délivrant à l’aide de sa crosse l’enfant alchimique retenu dans les limbes par un horrible dragon…