Patrick Rivière
« L’argile de l’homme a, été pétrie avec la rosée de l’amour … «
(Djalal-Ad-Din Roumî)
Sans authentique « Spiritualisation de la Matière », on ne peut véritablement prétendre aborder l’ALCHIMIE. Le problème majeur pour l’alchimiste consiste donc à capter l’énergie cosmique ou « Spiritus Mundi » (l’AEther ou l’Azoth des Philosophes) pour animer la matière élue » et la transcender ensuite
C’est toute l’épineuse question du « Feu Secret » qui, est évoquée, ici, alors Même que certains, de toute évidence davantage « disciples de Gurdjieff » que de Fulcanelli (1), prétendent que le peu Secret ne Correspondrait en fait qu’à un état subtil et particulier de l’être, à une exaltation de l’âme, en quelque sorte !…
Ces pseudo-spiritualistes, par ailleurs « métallurgistes » et devenus orfèvres en l’art des particuliers, offrent un « trompe-l’oeil pervers » facilement démontable grâce à l’absence évidente de toute préparation canonique du Feu Secret salin utilisé de tout temps par l’Alchimiste digne de ce nom, authentique « Philosophus per Ignem »…
Ce « Feu spirituel » a fait couler beaucoup d’encre; certains Philosophes hermétiques et pas les moindres ayant passé une grande partie de leur vie à le rechercher. Il est l’agent qui anime tout : l’énergie vitale spirituelle, en somme. Voici ce que le sage Eudoxe (in « Le Triomphe Hermétique » d’A.T. Limojon de St Disdier)déclare sans ambages à son sujet :
» En effet c’est le grand mystère de l’art, puisque tous les autres mystères de cette sublime Philosophie dépendent de l’intelligence de celui-ci. Que je serais satisfait s’il m’était permis de vous expliquer ce secret sans équivoque; mais je ne puis faire ce qu’aucun Philosophe n’a cru être en son pouvoir. Tout ce que vous pouvez raisonnablement attendre de moi, c’est de vous dire que le feu naturel, dont parle ce Philosophe, est un feu en puissance, qui ne brûle pas les mains; mais qui fait paraître son efficacité pour peu qu’il soit excité par le feu extérieur. C’ est donc un feu véritablement secret que cet Auteur nomme Vulcain Lunatique » dans le titre de son récit. Artephius en a fait une plus ample description, qu’aucun autre philosophe. Pontanus l’a copié et a fait voir qu’il avait erré deux cents fois parce qu’il ne connaissait pas ce feu, avant qu’il eût lu et compris Artephius : ce feu mystérieux est naturel, parce qu’il est d’une même nature que la matière philosophique; l’artiste néanmoins prépare l’un et l’autre. »
Pyrophile :
Ce que vous venez de me dire augmente plus ma curiosité qu’il ne la satisfait. Me condamnez pas les instantes prières que je vous fais, de vouloir m’éclaircir davantage sur un point si important, qu’à moins que d’en avoir la connaissance, c’est en vain qu’on prétend travailler; on se trouve arrêté tout court d’abord après le premier pas, qu’on à fait dans la pratique de l’oeuvre.
Eudoxe :
– Les Sages n’ont pas été moins réservés touchant leur feu que touchant leur matière; de sorte qu’il n’est pas en mon pouvoir de rien ajouter à ce que je viens de vous en dire. Je vous renvoie donc à Artephius et à Pontanus. Considérez seulement avec application, que ce feu naturel est néanmoins une artificieuse invention de l’artiste, qu’il est propre à calciner, dissoudre et sublimer la pierre des Philosophes et qu’il n’y a que cette seule sorte de feu dans le monde, capable de produire un pareil effet. Considérez que ce feu est de la nature de la chaux et qu’il n’est en aucune manière étranger à l’égard du sujet de la Philosophie. Considérez enfin par quels moyens Geber enseigne de faire les sublimations requises à cet art : pour moi je ne puis faire davantage que de faire pour nous le même souhait qu’a fait un autre Philosophe : Sydera Veneris et Corniculatae Dianae tibi propitia funto. »
Dans le même traité, n’est – il pas également précisé que « … la nature, dès le commencement du Printemps, pour se renouveler et mettre toutes les semences qui sont au sein de la terre, dans le mouvement qui est propre à la végétation, imprègne tout l’air qui environne la Terre, d’un esprit mobile et fermentatif, qui tire son origine du père de la nature; c’est proprement un nitre subtil qui fait la fécondité de la terre dont il est l’âme et que le Cosmopolite appelle le « sel-petre des philosophes ».
Le même Cosmopolite avait d’ailleurs écrit : « Il y a dans l’air une invisible et secrète substance de vie »
Plus tard, dans un ouvrage tenu en très haute estime par l’Adepte Fulcanelli, bien que n’émanant que de la plume d’un médecin-spagyriste : D. Copponay de Grimaldy qui relatait dans ses « OEuvres Posthumes » (Cf. P. Rivière : « Alchimie & Spagyrie : du Grand Oeuvre à la Médecine de Paracelse » éd. de Neustrie) ses expériences « iatrochimiques » (médicales), se trouvaient des éléments fort appréciables quant au processus « d’aimantation du spiritusmundi ». En voici quelques extraits plus qu’éloquents :
« En convenant que tout ce que les Philosophes disent de sublime au sujet du Nitre est vrai, il faut en même temps convenir qu’ils entendent parler d’un Nitre aérien, qui est attiré en sel plus blanc que la neige, par la force des rayons du Soleil e de la Lune, par un aimant qui attire l’esprit invisible; c’est là la magnésie des Philosophes… »
« …vous aurez votre terre vitriolique duement préparée et aimantée. Votre aimant ainsi préparé, il faut avoir un instrument de fer blanc comme un entonnoir qu’il faut mettre à demi-plein de votre aimant et exposez à l’air de la manière qui suit. Il faut placer et accomoder votre entonnoir de façon qu’il soit à l’abri des injures du temps, et par conséquent de la pluie, dans le temps des équinoxes, le mettant par exemple à une fenêtre, le col ou tuyau en dedans de la chambre, à la fenêtre du côté du levant. Vous y adapterez un récipient que vous juterez aux jointures, au bout d’un certain temps, on aura plus de deux pintes d’esprit universel … » / Biblioth. Arsenal 8 S 12057/
Pour « l’amateur de Science », ces dernières phrases ne manqueront pas d’évoquer « la bouteille de Leyde » et les travaux de Wilhelm Reich (décédé en 1957) concernant les accumulateurs d’énergie « d’orgone » (énergie universelle baptisée ainsi par Reich)(2) utilisant des enceintes et des tuyaux métalliques. Nous reviendrons un peu plus loin sur ce point. Retenons seulement pour l’instant ce qu’enseignait notre bon Maître de Savignies, à l’endroit de ce mystérieux « esprit universel » : « Le rayonnement solaire le dissipe, la chaleur le volatilise, les nuages l’interceptent, le vent le disperse et l’empêche de se fixer, mais, par contre, les radiations lunaires le favorisent et l’exaltent. À la superficie de la terre, il s’unit a l’eau pure de la rosée qui lui sert de véhicule pour le règne végétal. »
Si, en effet, dans le règne végétal, la Rosée est utilisée à l’état liquide l’alchimiste doit en extraire (par artifice l’énergie fixée dans un « Sel volatil » en son premier état, avant qu’il ne finisse après « maturation » par se précipiter- pour son utilisation dans 11OEuvre minéral. Cette partie primordiale mais, tout à fait indispensable, constitue à vrai dire le « Hors d’Oeuvre ». Un second Sel s’alliera d’ailleurs au premier, en parfaite complémentarité, concrétisant ainsi ensemble du « Feu Secret » qui ouvrira la « matière » au cours du Premier Oeuvre, permettant à « l’émeraude » d’apparaître telle que nous la vîmes nous même, sans aucun subterfuge archimique, superfétatoire en l’espèce, puisque la Nature prodigue « naturellement » ses bienfaits à ceux qui se donnent la peine d’en percer les mystères ! (cf. texte et hors-texte d’Alchimie et Spagyrie … Il op. déjà cité).
L’aimantation du « spiritus-mundi » et l’utilisation du précieux fondant, sous l’apparence de ces deux sels (de nature voisine) constitue donc la clef de l’Arcane majeur du « Feu Secret », voilée de manière sibylline par les anciens auteurs, à l’exception de l’auteur anonyme du » Mutus Liber » ou Livre Muet de l’Alchimie, qui fut rendu littéralement « parlant » grâce aux charitables et lumineux commentaires apportés par Eugène Canseliet (éd. J-J Pauvert, réédité récemment chez Suger).
Cette phase de confection des Sels est soigneusement décrite, par le menu, dans les planches I – IV- IX – XII -V – VI – VII. Si les planches IV – IX et XII s’appliquent a la récolte de l’influx astral, que le chercheur s’interroge nonobstant, quant à la présence et à la nature de ces deux animaux : le Bélier et le Taureau, qui ne désignent sans doute pas uniquement les deux mois zodiacaux du Printemps ! Sur la planche XII, Hermès s’empare définitivement de la précieuse liqueur dont il et si friand mais quelle substance voile-t’il sous cet aspect si robuste ?
Sur la planche V, on peut voir la jeune femme remettre un curieux « coagulum » à un Vulcain « lunatique » qui tient un enfant inanimé contre son sein. Ce « coagulum » réapparaîtra d’ailleurs dans des phases ultérieures sur les planches VI et VII. Sa nature et l’intérêt de sa présence n’échappe assurément pas à l’Enfant de Sapience qui se souvient que le si controversé Wilhelm Reich préconisait l’utilisation de « corps floconneux » pour attirer et retenir » l’énergie universelle (« l’Orgone », voir plus haut)
C’est véritablement déjà, en ce « Hors d’ Oeuvre » primordial l’allusion au « Feu-Eau » ou « Eau-Feu » des Adeptes, que l’anneau baphométique de Fulcanelli symbolisait parfaitement de par son graphisme. (cf. notre ouvrage : « Sur les sentiers du Graal » texte et hors-texte consacrés au Baphomet templier). Souvenons-nous s’il en était besoin que les plats accueillant l’énergie cosmique (planches IX et XII du mutus Liber ») forment un triangle pointe en haut, symbole évident de l’élément feu!
A propos de ce rayonnement sidéral à l’origine de l’eau pontique philosophale, cet extrait des « Récréations Hermétiques » ôte toute ambiguïté superflue :
« Tout le monde sait aujourd’hui que la lumière que la lune nous envoie n’est qu’un emprunt de celle du soleil, à laquelle vient se mêler la lumière des autres astres. La lune est par conséquent le réceptacle ou foyer commun dont tous les philosophes ont entendu parler; elle est la source de leur eau vive. Si donc vous voulez réduire en eau les rayons du soleil, choisissez le moment où la lune nous les transmet avec abondance, c’est-à-dire lorsqu’elle est qu’elle approche de son plein; vous aurez par ce moyen l’eau ignée des rayons du soleil et de la lune dans sa plus grande force… »
Virgile n’évoquait-il pas dans « les Bucoliques » : » la lune, verseuse de rosée… »!
D’ailleurs, selon Macrobe, « Ros » ne désignait-il pas en effets le dieu mythologique, fils de « l’Air et de la Lune » ( « rosis » signifiant vigueur et santé).
Il s’agit bien aussi de la « Rose hermétique » que les poètes jehan de Meung et Guillaume de Lorris immortalisèrent en leur « Roman de la Rose » … par homophonie : le Roman de la « Rosée » !
Tous les textes sacrés ne cessèrent d’adresser des louanges à cette précieuse liqueur et d’en célébrer les vertus, telle la Bible : Gen.XXVII 28-39; Gen.XXVIII.11-12; Deut-XXXIII-13-28. (ces références bibliques étant évoquées à l’envers sur la première planche du « Mutus Liber »). La Rosée n’a nullement ici une valeur allégorique. Elle constitue l’Arcane en soi-même. Ainsi, peut-on lire également dans les « Proverbes »:
« C’est par la Sagesse que l’Eternel a fondé la Terre. C’est par l’Intelligence qu’il a affermi les Cieux. C’est par la Science que les abîmes se sont ouverts; et que les nuages distillent la ROSEE…
Combien étaient authentiquement alchimiques également les préoccupations du célèbre Hercule Savinien de Cyrano Bergerac – immortalisé par Edmond Rostand – le poète dont l’esprit vagabondait si souvent « dans la lune », selon l’expression consacrée ! Voici un extrait des plus caractéristiques, tiré « Des Etats et Empirer de la Lune et du Soleil » :
« J’avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée, sur lesquelles le Soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région. avais comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité, et qu’au lieu de m’approcher de la Lune, comme je prétendais, elle me paraissait plus éloignée qu’à mon parlement; je cassai plusieurs de mes fioles, jusqu’ à ce que je sentis que ma pesanteur surmontait l’attraction, et que je redescendais vers la terre. Mon opinion ne fut point fausse, car j’y retombai quelque temps après, et, à compter de l’heure que J’en étais parti, il devait être minuit. Cependant, je reconnus que le Soleil était alors au plus haut de l’horizon, et qu’il était là midi. »
Combien sommes-nous proches également ici du jeu ancien intitulé : « les oeufs volants, dont Jacques de Fontenay prétendait en 1616, qu’il consistait à vider des oeufs, à les remplir de rosée avant de les reboucher ensuite
« On les met aux rais bluettants (étincelants)
D’un soleil ardent qui les tire
Après qu’il a fondu la cire
Qui clôt la rosée… »
Dans son ouvrage : « L’Observatoire de la Connaissance servant aux yeux affaiblis (« Conspieillium notitiae inserviens oculis aegris »), Eucharius Cygnaeus n’hésitait pas à qualifier les membres de la Fraternité Rose + Croix : « les Frères de la Rosée + Cuite », sans en mentionner les raisons, arguant du fait qu’il était impossible d’examiner cette dénomination sans divulguer de très grands secrets !
Il ne fut d’ailleurs pas le seul; nous nous en sommes expliqué ailleurs (cf. revue « L’Autre Monde » N° 114 et 115). Ajoutons simplement le témoignage supplémentaire que nous fournit Jean Laurent Mosheim en son « Histoire ecclésiastique ancienne et moderne des Institutions » en prétendant que les initiales R.C. ne signifiaient pas « Rose » et « Croix ». mais s’appliquaient aux mots « Rosée » et « Croix » :« illud nomen compositum est non, quod multi sibi persuadent, ex Rosa et Crux, verum exvocabulis Ros et Crux. »
« I N R I »
« Igne Nitrium Roris Invenitur » (par le Feu se découvrent le Nitre et la Rosée)…
(1) Que de calomnies n’adresse-t-on pas encore à l’égard de cet éminent scientifique, dont les travaux officiels furent couronnés de succès par l’Acadéinie des Sciences, à 1a fin du siècle derniers
(2) Wilhelm Reich : « l’Accumulateur d’énergie d’Orgone » son utilisation scientifique et médicale. LOG. BP 83, 75923 Paris cedex 19