Patrick Rivière
L’Alchimie, assurément, s’offre aux regards curieux comme la doctrine la plus secrète des sciences occultes. Est-ce un hasard ? La seconde question venant à l’esprit du profane et c’est somme toute bien légitime, consiste à s’interroger sur la nécessité d’évoquer à l’aube du IIIème millénaire, une doctrine paraissant pour le moins « poussiéreuse » ! Pour un hermétiste, la réponse à une telle question est évidemment aisée. Elle ne saurait le mettre dans l’embarras puisque l’Alchimie constitue rien moins que la science spirituelle de la Vie !
L’Alchimie n’est donc ni une chimère illusoire ni une sorte de « pré-chimie » devenue anachronique, mais elle est bien réelle et s’ avère parfaitement intemporelle. Aussi réside-t-elle au cœur de l’ésotérisme de toutes les traditions religieuses desquelles elle emprunte le symbolisme pour véhiculer sa pensée. Ainsi ne faut-il point s’étonner que l’on puisse parler d’une alchimie égyptienne, arabe, chrétienne, indienne, chinoise, etc.
L’Alchimie s’avère donc être une authentique doctrine ésotérique débouchant tant sur la transmutation des métaux vils en or, que sur la transformation de l’alchimiste lui-même, par le jeu subtil et sacré, propre à toute évolution spirituelle; le mental et l’âme de l’alchimiste se transformant parallèlement, car, selon Paracelse : « Nul ne transmute aucune matière s’il ne s’est déjà transmuté lui-même ». Ce à quoi Beccher croyait bon d’ajouter: « Les faux alchimistes ne cherchent qu’à faire de l’or. Les vrais philosophes ne désirent que la science. »
Bien que l’intérêt suscité par la Science hermétique ne cesse de s’accroître au fil des années, il est pour le moins décevant de constater la stérilité caractérisant la plupart des voies « offertes » par nos contemporains aux « curieux de Nature »! On ne peut que déplorer cet état de fait préjudiciable à tout élan sincère ainsi qu’à toute évolution de l’être sur le sentier initiatique de l’art d’Hermès. En effet, tandis que certains vantent les mérites d’une « pseudo-alchimie mentale » fondée uniquement sur des supputations intellectuelles, qu’ils n’hésitent pas à qualifier de voies internes » ou de « méditations spirituelles », d’autres préconisent arbitrairement l’usage de voie plus hyperchimiques ou archimiques (dans le meilleur des cas) que réellement alchimiques. On insiste ici ou là sur l’importance de telle expérience qui n’est en réalité que l’aboutissement d’une réaction purement chimique, ne s’intéressant qu’à l’obtention de « teintures d’or », qualifiées par les vrais Philosophes de petits particuliers !
Ces « voies » spécieuses, ô combien desséchantes et stériles, ne constituent en réalité, que d’habiles parodies de l’antique mais pérenne Alchimie. Combien est-il aisé, en effet, d’offrir aux chercheurs studieux ces « voies » déviées, devant l’inexistence d’un véritable débat contradictoire…
Plusieurs voies proprement alchimiques existent qui exigent toutes la parfaite canonicité des matériaux employés. Parmi celles-ci : le Grand OEuvre envisagé par Fulcanelli, à la suite d’A-T Limojon de St Didier, Eyrénée Philalèthe, Nicolas Flamel, Basile Valentin qui d’ailleurs, nous livre la « voie des Vitriols », la « Pierre de Feu » et la « Teinture des sept Métaux ». Mais on relève aussi la voie enseignée par Roger Caro (où le soufre et le mercure ne sont plus seulement allégoriques), la voie « rosicrucienne » évoquée par Montfaucon de Villars (in Le Comte de Gabalis) avec la captation des rayons solaires à l’aide de miroirs concaves, et celle du Testament d’Or agrémenté des travaux de Douzetemps et de De Saulx. Il y a aussi la voie suivie par Friedrich von Meyer, qui donne des résultats satisfaisants, bien qu’au niveau de la Médecine Universelle, les résultats soient moindre que dans la voie de Fulcanelli, car une seule des deux matières y est présente et pas la meilleure, tant s’en faut !
En effet, le critère d’obtention de la Pierre Philosophale, outre la transmutation du plomb ou du mercure en or, est bien celui de la réalisation de l’Elixir Vitae (« Elixir de Longue Vie »). On peut cheminer sur différentes voies mais celles-ci ne peuvent être considérées comme authentiques que si l’on obtient la Médecine Universelle. Ce grand Elixir, qui se présente sous une forme colloïdale, va transmettre sa rubescence et suffisamment dilué, donnera naissance à l' »Or potable » qui est en fait de l’or sans or. C’est de l’Or philosophal qui stimule les défenses immunitaires de l’individu et qui permet à l’intéressé de chevaucher allégrement les années. Ainsi un Adepte peut s’il le veut – cela n’ implique pas qu’il le doive – ainsi ralentir ses propres mécanismes de vieillissement; bien qu’il ne faille nullement confondre longue vie et immortalité. C’est l’aspect purement spirituel engageant le domaine des « voies internes » qui prévaut dans cette dernière conception et qui conduit l’Adepte à sa complète réintégration dans le lumineux et numineux « Corps de Gloire » (Aureae Gloriae) par la « coagulation du corps de conscience »..
Mais avant tout, il convient de distinguer nettement la subtilité des processus alchimiques, des simples mécanismes chimiques ou « archimiques ». Ces profondes différences se montrent fondamentales. En effet, suivant l’axiome alchimique, rappelé par Fulcanelli, à savoir que « les corps n’ont aucune action sur les corps et que seuls les esprits ont une action sur eux », le véritable alchimiste s’aperçoit qu’à l’exclusion de toute autre réactif, seuls des esprits métalliques (« sels lunaires », par ex.) sont susceptibles d’obtenir – de par leur extrême canonicité une action alchimique sur la « matière élue ». La Lune « verseuse de Rosée » céleste (Virgile, Les Bucoliques) n’est évidemment pas indifférente à ces processus vitaux, de même que l’astre Solaire, confortant généreusement l’activité de toute solution saline, mais à la condition expresse de se conformer rigoureusement au protocole défini par le Mutus Liber d’Altus et non de simplement laver et re-cristalliser les sels en question par simple évaporation! En outre, n’en déplaise à ces modernes « souffleurs », la précieuse Rosée est loin de ne contenir que du peroxyde d’hydrogène (H202), car elle contient un « nitre dédoublé » dont les modalités d’action ne laissent planer aucun doute quant au bien-fondé de l’exposition des plats à la lune croissante printanière (cf; Mutus Liber, pl.IV,IX,XII). Nous nous sommes exprimé sur ces questions dans la réédition de cette « bible muette » des alchimistes, aux éditions Ramuel, ainsi que dans notre livre récemment réimprimé et considérablement augmenté (avec des photographies en couleurs,du Grand OEuvre) intitulé « Alchimie: science & mystique » éd. De Vecchi, 2001.
En Alchimie, ce qui importe d’une manière décisive, c’est de s’appliquer avec patience – bien entendu après avoir eu connaissance du processus à suivre – à rendre canoniques les matériaux utilisés, afin qu’un caractère proprement philosophique rende compte de leur état, que certains n’hésiteraient pas à qualifier de « vibratoire ». Il en va ainsi de l’Alkaest jusqu’à la « volatilisation » du sel de Tartre et des sels des végétaux, pour l’élaboration du Primum Ens ou « élixir végétal » tiré du suc des plantes.